C'est en étant étroitement uni aux aliments, en étant discrètement enfoui en eux, que le sel joue son rôle et relève agréablement le goût de ce qu'il touche. Il y a deux manières de dénaturer le sel : la première consiste à lui faire perdre sa saveur. Ce qui revient à dire perdre son identité, car aussi longtemps que le chlorure de sodium est présent, il ne peut pas ne pas saler. S'il se dénature, c'est que par l'une ou l'autre transformation chimique, la molécule s'est modifiée, de sorte que le sel n'est plus du sel. C'est ce qui peut arriver au chrétien si, à force de fréquenter d'autres idéologies incompatibles avec sa foi, il finit par être profondément influencé par elles au point de perdre son identité chrétienne. Que pourrions-nous prétendre proposer au monde pour donner du goût à la vie si le Christ des Evangiles ne nous suffisait plus, et si nous tendions les mains vers des doctrines ou des techniques qui lui sont étrangères ? Nous ne serions plus bons à rien : on nous jetterait dehors et les gens nous piétineraient. N'est-ce pas - partiellement du moins - en raison du manque de radicalité de notre témoignage que l'Evangile ne reçoit plus qu'un accueil mitigé de la part de nos contemporains ?

Mais il y a une autre manière de « dénaturer » le sel. La finalité du sel est d'être mêlé aux aliments, pas de demeurer dans un bocal bien rangé sur une étagère, derrière la porte fermée d'un placard, que l'on ouvre de temps en temps, juste pour vérifier que tout est bien conservé. Le chrétien qui s'isole du monde, ou qui met sa foi à l'écart (à l'abri ?) de sa vie quotidienne est lui aussi « dénaturé », car par nature, la foi tend à s'incarner dans une vie concrète, à « se faire culture ». C'est dans nos choix, nos refus, nos prises de position en paroles ou en actes au nom de l'Evangile, que nous apportons notre collaboration indispensable à la société dans laquelle nous vivons ; c'est ainsi que nous sommes « sel de la terre ».

Ce second type de dénaturation peut aussi nous être imposé subtilement par l'Etat, lorsque la laïcité vire au laïcisme, cette idéologie qui réduit la religion à son aspect liturgique et confine celle-ci dans la sphère privée, permettant ainsi à l'Etat de se réserver exclusivement l'espace public, dans lequel l'Eglise n'aurait pas à intervenir. Au nom du bien commun et de notre vocation chrétienne, nous ne pouvons pas accepter une telle exclusion du champ culturel qui reviendrait à nous empêcher d'apporter le « grain de sel évangélique » indispensable à la société, pour qu'elle puisse poursuivre sa route selon les desseins de Dieu.

La seconde comparaison proposée par Jésus confirme cet appel à vivre notre foi au grand jour : « rien n'est donné dans le secret qui ne doive être divulgué au grand jour ». Si la lumière de l'Evangile doit être visible par les hommes, si elle est appelée à « briller » devant leurs yeux comme une étoile dans la nuit, alors nos discours chrétiens ne suffisent pas : ce sont nos comportements concrets, nos choix de vie, nos engagements qui sont appelés à témoigner visiblement de notre appartenance au Christ et du surgissement du Royaume. Jésus précise d'ailleurs : « alors, en voyant ce que vous faites de bien, ils rendront gloire à votre Père qui est aux cieux ».

Vous êtes
le sel de la terre…

Mt 5,13-16.

Le chrétien digne de ce nom, est donc appelé à poser des actes prophétiques que tous pourront reconnaître comme « bons ». Ceci est doublement important à l'heure de l'individualisme post-moderne, qui récuse l'objectivité des valeurs. Au nom du Christ des Evangiles, nous avons à réveiller l'intuition du caractère normatif des valeurs, au-delà de toutes les idéologies réductrices qui tentent de les relativiser, en les renvoyant à la sphère subjective.

Si « nous partageons notre pain avec celui qui a faim, si nous recueillons chez nous le malheureux sans abri, si nous couvrons celui que nous verrons sans vêtement, bref : si nous ne nous dérobons pas à notre semblable » (1ère lect.), mais si nous nous mettons gratuitement « et de bon cœur » à son service au nom de sa dignité d'homme, tous sans exception reconnaîtront la bonté de notre action, et par le fait même, la preuve de l'objectivité des valeurs sera faite. Aucun individualisme, aussi absolu soit-il, ne parviendra à déraciner de nos cœurs la conviction que le visage de l'autre, éclairé par la lumière intérieure de sa conscience, son regard illuminé par la flamme de son esprit, m'obligent envers lui. Je ne peux me soustraire à son interpellation sans étouffer l'appel intérieur qui résonne en mon cœur. Refuser de servir c'est choisir les ténèbres, le remord, la tristesse ; consentir à l'appel c'est laisser « jaillir la lumière », qui « se lèvera dans les ténèbres, de sorte que notre obscurité sera comme la lumière de midi » (Ibid.).

« Je prends aujourd'hui à témoin contre toi le ciel et la terre : je te propose de choisir entre la vie et la mort, entre la bénédiction et la malédiction. Choisis donc la vie, pour que vous viviez, toi et ta descendance, en aimant le Seigneur ton Dieu, en écoutant sa voix, en vous attachant à lui » (Dt 30, 19-20).
Hélas, depuis que le péché nous a dominés, le chemin de la charité est trop dur pour nous. L'inertie de la chair nous entraîne irrésistiblement vers le repli individualiste, égoïste et mortifère. Mais c'est « en ne voulant rien connaître d'autre que Jésus-Christ, le Messie crucifié » (2ème lect.), en nous appuyant sur lui de tout le poids de notre faiblesse et en lui confiant toutes nos peurs, que nous permettons à « l'Esprit de manifester sa puissance » en nous donnant la force de poser des actes de charité concrète qui témoignent à la face du monde que notre foi n'est pas une idéologie, mais qu'elle repose sur « la puissance de Dieu » (Ibid.) à l'œuvre dans nos vies.

En ces temps où nos contemporains écoutent plus volontiers les témoins que les Maîtres, nous avons à faire un examen de conscience sur la manière dont nous vivons l'Evangile. Impressionnés, apeurés peut-être, par les critiques acerbes dont nous faisons l'objet en tant que chrétiens, redoutant la mise à l'écart voire l'exclusion, nous sommes tentés de mettre « la lampe » de notre baptême et de notre foi « sous le boisseau ». A force de compromis avec les nouvelles propositions religieuses qui nous assaillent de toutes parts, et pour éviter d'être taxés « d'intolérance », nous avons peut-être laissé se dénaturer notre foi, si bien que le sel de l'Evangile du salut se trouve enfoui sous des alluvions qui l'étouffent et le stérilisent.

Mais qu'importent nos faux pas du passé ? Aujourd'hui le Seigneur nous appelle : demain est à construire et il veut avoir besoin de nous. Et si nous demeurons encore prisonniers de nos peurs passées, le prophète Isaïe nous enseigne ce que nous avons à faire : « Si tu appelles, le Seigneur répondra ; si tu cries, il dira : "Me voici" » (1ère lect.). Plongeons donc notre regard dans le sien ; laissons-nous saisir par la beauté de son appel. Qu'il éveille en nous le désir de faire le bien gratuitement, et que « le cœur ferme, nous appuyant sur le Seigneur » (Ps 111), nous partagions à pleine main avec chacun ce dont il a besoin. « Alors ta lumière se lèvera dans les ténèbres et ton obscurité sera comme la lumière de midi » (1ère lect.) ; alors en voyant ce que nous faisons de bien, les hommes oublieront leurs critiques, ils renonceront à leurs idéologies réductrices, et ils rendront gloire à notre Père qui est aux cieux », d'avoir donné aux hommes une telle puissance d'aimer, capable de changer la face de la terre.

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