A propos du document des évêques : « Envoyés pour annoncer ».

Le document des évêques renoue, me semble-t-il, avec les grands textes conciliaires dont on avait parfois oublié le souffle et le prophétisme. Il revisite notre relation au monde.

Parce qu'il fait objectivement justice aux valeurs que véhicule la société moderne occidentale et aux progrès qu'elle dispense. Le ton est positif : sans rancœur ni rancune, mais sans complaisance ni naïveté. Car l'évangile nous pousse à prendre du recul par rapport au monde ambiant pour lui donner sens. Il s'agit de « tenir la juste distance » et de s'interroger sur un progrès individuel qui ignorerait la solidarité, sur une recherche identitaire qui meurtrirait les autres, sur une augmentation du bien-être des uns qui se réaliserait aux dépens des autres, sur une conception de l'état laïc qui réduirait la religion à une affaire privée.

Parce qu'il précise, à juste titre, qu'il s'agit d'abord d'annoncer « Quelqu'un », plutôt que d'annoncer quelque chose, même si ce « Quelqu'un » a quelque chose à dire. Cette précision - essentielle - présente trois avantages. D'abord, elle libère le chrétien de devoir avoir raison en tout, et tout le temps. Elle le place du même côté que tout homme qui recherche le Bien, le Vrai, le Beau. Ensuite, elle rend justice au Dieu de la Bible dont le projet est de faire alliance avec l'être humain créé libre. Enfin, le sens de la mission se clarifie aussi. Il ne s'agit pas de conquérir ou reconquérir, mais d'être, ensemble.

Pour être plus claires, les choses n'en sont pas plus faciles et moins exigeantes pour autant. Car l'évangile est subversif quand il stigmatise les impasses de la culture contemporaine.
Le lien entre témoignage et martyre risque bien d'être plus qu'étymologique.

Parce qu'il nous rappelle que la transmission de la foi n'est pas au bout de nos discours ou de nos stratégies pastorales. La foi se transmet comme le feu, de proche en proche, par contact. Nous ne sommes que les gardiens du feu que Jésus est venu allumer sur terre. Le feu va son chemin de lui-même. Dieu va son chemin de lui-même. C'est Dieu qui sauve. Le rôle des groupes de chrétiens est de se laisser embraser et de devenir ainsi des vecteurs du feu. D'homme à homme, de parents à enfants, de catéchiste à catéchumène … Et si Jésus est vraiment parmi nous, cela va se savoir : « Voyez comme ils s'aiment ! ». Non pas seulement : « Regardez comme ils s'embrassent », mais surtout : « Regardez comment ils vivent ensemble avec toutes leurs différences et toutes leurs sensibilités ».

Parce qu'il parle de l'histoire entre Dieu et l'être humain comme d'une histoire d'amour entre deux personnes libres. Je cite : « Au plus profond de nous-même, chacun de nous se déploie dans ce qu'il signifie pour les autres. Que dire alors de la joie de l'homme qui se sent aimé et connu de Dieu comme infiniment précieux et unique ? Telle est l'alliance à laquelle Dieu nous appelle et nous destine. En elle réside le bonheur et la plénitude de la vie ».

Nous sommes au cœur du message chrétien et l'homme moderne est « outillé » pour comprendre cette vision « relationnelle » de la vie de foi en Eglise. Cette histoire d'amour sonne juste à ses oreilles car elle s'appuie sur ses aspirations légitimes de progrès et de bonheur, en homme et en femme libres. Et quand Jésus est dans la place, Dieu sait où il mène!

Ces pistes-là sont bien précieuses pour nous rendre confiance, joie et ardeur dans « l'annonce » aujourd'hui, à partir de nos différents lieux d'insertion ecclésiale.


René Dassy
Revue "Pastoralia" - déc.2003