LE FOU ET LES SAINTS

 

Au départ le fou et le saint se ressemblent comme deux frères jumeaux.

Au départ ils disent tous deux la vérité.

Au départ le fou et le saint ont cette même insensée prétention de dire la vérité.

 

C’est après que cela se gâte.

Le fou est celui qui, énonçant la vérité, la renvoie aussitôt à son vrai destinataire, comme on rajoute sur une enveloppe l’adresse qui manquait .

Je dis le vrai donc je ne suis pas fou, dit le fou.

Je dis le vrai mais je ne suis pas vrai, dit le saint.

Je ne suis pas saint dit le saint, seul Dieu l’est, à qui je vous renvoie.

Les fous et les saints se côtoient dans l’Histoire.

Ils se frôlent, ils se cherchent et parfois se rencontrent pour le plus grand malheur du fou, pour son plus beau désastre.

Trois des quatre évangélistes décrivent la guérison par le Christ d’un possédé qui « avait sa demeure dans les tombes et que personne ne pouvait lier, même avec une chaîne ». Le fou est dans la compagnie des morts. Il a son visage tourné vers l’ombre. Plus rien ne lui arrive que du passé.

Il ne peut se lier à rien ni personne, il ne peut nouer aucune histoire vivante avec les vivants. Le saint a son visage tourné comme une proue vers ce qui vient de l’avenir pour féconder le présent – pollen de Dieu transporté par toutes sortes d’anges.

Le saint n’en finit pas de relier le proche au lointain,

l’humain au divin,

le vivant au vivant.

                                              

Christian BOBIN « le très-bas »