Texte de l’homélie du Père André van der Sloot à l’occasion de la Fête du Corps et du Sang du Christ. (Jean 6 :51-58)                                                                         Farnières, le 25 mai 2008

 

 

 

 

Je suis heureux de pouvoir vous adresser quelques mots. D’abord parce que cette fête est importante pour l’Eglise comme pour tout chrétien, ensuite parce que vous savez comme moi, la place de l’Eucharistie dans la spiritualité et la pédagogie salésiennes. Pour Don Bosco,  le don du Christ dans l'Eucharistie était le plus grand don fait aux hommes et aux jeunes pour les nourrir et les aider à grandir humainement, moralement et dans la foi. La fête d'aujourd'hui nous permet de reprendre à notre compte cet élan, cette adhésion de foi envers la présence Eucharistique de Christ Ressuscité qui a tant soutenu nos saints fondateurs.

 

 

En prenant au sérieux ces paroles de Jésus, nous pouvons comprendre pourquoi l’Eglise a toujours insisté sur l’importance de la participation à l’Eucharistie et particulièrement depuis le concile, sur la communion eucharistique. Laissons-nous nous interpeller par le langage réaliste de Jésus : « qui mange ma chair et boit mon sang ». Ces mots ont choqué les gens de l’époque et il ne serait pas normal de les accueillir sans se poser de questions. Comment cela est-il donc possible ? Manger la chair, boire le sang….Que de disputes entre chrétiens pour trouver réponse à ce comment. La question du comment, nous la retrouvons plusieurs fois en St Jean. Nicodème lui aussi se pose cette question : « comment un homme peut-il entrer dans le ventre de sa mère pour renaître… ? » Et Jésus ne répond pas. Le comment reste le lieu de l’interpellation, lieu de provocation de notre foi. Mais Jésus va dévoiler le sens : car la question importante n’est pas celle du comment, mais du pourquoi. Pourquoi Jésus donne-t-il son corps et son sang ?  Nous touchons là au sens même de sa vie. Je ne peux accepter cette question du « pourquoi ? », que si je prends au sérieux Jésus, vie donnée pour le monde, que si je prends au sérieux, Dieu qui en Jésus donne la vie par le don de lui-même.

 

On ne se rend pas compte du retournement total de notre vision de Dieu, de la conversion théologique que cela demande. Non plus un Dieu lointain, tout puissant, mais Dieu tellement proche qu’il est nourriture, tout puissant dans le don de lui-même jusqu’à se laisser manger et boire…Enfin un Dieu buvable. Trop de faux dieux sont eux, imbuvables. Déjà Jésus disait, « le Sabbat est fait pour l’homme et non l’homme pour le sabbat. » Le jour réservé à Dieu, n’est pas fait pour Dieu mais pour l’homme. Et ce jour est Saint, car ce jour-là, l’homme est appelé à devenir saint comme Dieu est Saint. Ainsi Dieu n’est pas pour lui-même, il ne serait pas amour, Dieu est,  pour que tout homme puisse être en lui et vivre par lui. « Dieu est venu en ce monde pour que par lui, le monde soit sauvé ». La priorité pour Dieu, c’est que nous vivions et que l’humanité entière reçoive de lui la vie par l’accueil du Christ.

Mais tout cela n’est pas seulement une vérité spirituelle : Jésus insiste sur le fait de manger et de boire. Pour vivre il faut manger, pour vivre de la vie éternelle, çàd, la vie en plénitude aujourd’hui commencée, il faut manger la chair et boire le sang du Christ, afin de devenir non pas des tabernacles, mais devenir nous-mêmes corps et sang, vie du Christ ressuscité. La chair et le sang, deux termes pour dire la vie concrète, la personne dans sa totalité avec tout ce qu’elle a vécu sur cette terre dans la matérialité de la vie.

 

A force d’entendre ces mots, ils risquent de ne plus nous étonner, nous surprendre ni nous interpeller. L’Eucharistie devient alors un  rite, geste répété vécu de l’extérieur, parfois même une habitude. Quand nous communions au Corps du Christ, nous partageons sa vie concrète, ce qu’il a vécu lui-même, comme des amoureux qui partagent leur existence. Nous nous engageons donc à prendre sa route, à partager son projet de vie et d’amour pour tout homme. Nous entrons dans le même avenir que lui, nous entrons dans l’alliance nouvelle et nous demeurons en lui comme lui demeure en nous. Demeurer, ce n’est pas s’assoir les pieds sous la table et attendre. Demeurer c’est faire partie de la même demeure, de la même maison, du même foyer, partager le même projet, la même optique, le même regard sur l’homme, le monde, l’avenir etc…Là est l’alliance nouvelle, vie commune avec le Seigneur dès aujourd’hui et pour toujours.

 

L’Eucharistie, le Pain de vie n’est pas une potion magique, une pastille comme disait un enfant ; » Mr,  j’ai pas eu la pastille » (on n’a qu’à prendre du pain convenable), un produit miracle qui va me rendre meilleur par miracle, à force de le recevoir tous les jours.

 

Partager le pain de vie, c’est prendre au sérieux la vie de l’homme en sachant qu’elle est le lieu où Dieu me fait signe, se rend présent et se donne dans toute la proximité possible. Le pain quotidien de la vie de l’homme devient le pain de Dieu, comme si la nourriture terrestre nous ouvrait, à une nourriture autre, renouvelée par la vie donnée du Christ.

 

Faire Eucharistie, c’est aussi faire mémoire de l’alliance scellée entre Dieu et l’homme. « Souviens-toi, n’oublie pas tout ce que Dieu a fait pour tes pères. Rappelle-toi que tu es chrétien parce que d’autres l’ont été avant toi ». Fais mémoire dans ta vie des moments de foi où Dieu t’a interpellé et conduit…Alors chaque Eucharistie nous ouvre au monde, à l’histoire de l’humanité,

 

Communier, c’est se rappeler que Dieu nous a aimé le premier et qu’il nous prend au sérieux, puisqu’il se donne à nous en nourriture. En Jésus, ce n’est pas un pain aseptisé mais le nôtre avec toute l’épaisseur et les lourdeurs de nos vies, avec les joies et les peines, notre péché et notre amour que Dieu prend à son compte pour en faire un pain de vie éternelle, pain d’amour de paix et de Justice, de pardon et de renaissance.

 

Prenons-nous notre vie au sérieux ? De quoi la nourrissons-nous ? C’est l’Esprit qui nous ouvre le sens même de ce pain et de ce vin, C’est dans l’Esprit que nous pouvons reconnaître en eux la présence de vie donnée et ressuscité du Christ, son Corps et son sang.